Alerte rouge dans les forêts françaises. Cette année, les feuilles ont viré au brun parfois dès le 14 juillet. « Trois printemps et trois étés secs successifs, soupire Brigitte Musch, généticienne à l'Office national des forêts (ONF). On n'a jamais connu ça. » Certains arbres meurent littéralement de soif. Pour d'autres, l'effet de la sécheresse est plus vicieux : affaiblis par le manque d'eau, ils deviennent des proies rêvées pour des ravageurs, insectes ou champignons, qui font habituellement peu de dégâts.
Quand les nappes phréatiques se vident, les différentes espèces ont chacune leurs trucs pour limiter la casse : les chênes, économes, cessent de transpirer pour ne pas gaspiller une goutte ; les bouleaux, eux, se débarrassent de leurs feuilles ; les tilleuls, malins, décalent leur saison passant en « mode automne » dès l'été…
Alsace, Champagne, Lorraine : c'est déjà la catastrophe
Ce qui fonctionne pour une sécheresse « normale » risque de mal tourner cette fois. Et le pire est sans doute devant nous : « Les conséquences se feront jour plus clairement au printemps et au-delà », prévoit-on au ministre de l'Agriculture. « Alors que les observations de dépérissement étaient surtout concentrées sur la moitié sud, elles se sont beaucoup développées sur la moitié nord », s'alarmait déjà en mars le bulletin du Département de la santé des forêts à propos du pin sylvestre.
Un grand quart nord-est voit ses arbres rendre l'âme à vitesse grand V. Dans les forêts alsaciennes, champenoises ou lorraines, c'est déjà la catastrophe. L'Etat a mis en place une cellule de crise nationale, mais il n'existe pas vraiment de solution à opposer aux insectes qui, pour ne rien arranger, profitent de la chaleur pour se reproduire plus vite. Alors les forestiers, la mort dans l'âme, abattent à tour de bras. Le cours du bois s'effondre. Le gouvernement a débloqué 16 millions d'euros pour soutenir la filière.
Des pans entiers de l'histoire de France disparaissent. Les plantations de Colbert, ministre de Louis XIV, comme l'emblématique forêt de Tronçais, dans l'Allier, ont bravé bien des épreuves, dont la puissante tempête de 1999. Mais ces sécheresses inédites les font vaciller. De même, les hectares hérités du Fonds forestier national de Gaulle tombent les uns après les autres. Dans 40 ans, la forêt aura un autre visage, pas de doute.
La menace de disparition d'une essence est réelle : dans les années 1970, 99% des ormes ont disparu, frappés par une maladie importée. Que les belles futaies rafraîchissantes deviennent des étendues grillées ne relève pas non plus de la science-fiction. La forêt de la Hardt est déjà en voie de « steppisation ». Là où se dressaient des chênes majestueux, il ne reste quasiment plus que broussailles et bois mort. « A Vierzon (Cher), ce n'est guère mieux », complète Brigitte Musch.
La distanciation sociale appliquée aux arbres
Il faut d'urgence adapter les massifs à un futur où les sécheresses seront plus fréquentes et plus intenses. Le ministère de l'Agriculture rappelle qu'il consacre « depuis des années, un budget annuel de près d'un million d'euros aux programmes de recherche et développement sur l'adaptation au changement climatique des forêts ». En Allemagne, où la situation est encore plus critique, le gouvernement a promis 800 millions d'euros pour le plan de sauvetage.
« Il n'y a pas une solution miracle mais des mesures que nous testons toutes en même temps », indique la généticienne de l'ONF. Première d'entre elles : appliquer la « distanciation sociale » pour limiter la densité et donc la compétition entre les arbres pour l'accès à l'eau. Fini aussi le monovariétal : dans le massif des Vosges, l'un des plus impactés, on mise sur la « régénération naturelle », c'est-à-dire que, même sans en planter, les forestiers prennent garde à laisser pousser sycomores, sorbiers et érables au pied des résineux.
Choisir des essences habituées aux étés secs
Et pour remplacer les majestueux végétaux tombés sous les assauts de la sécheresse ? Soit l'on va chercher le même arbre mais issu de lignées du Sud qui, génération après génération, se sont adaptées aux étés secs ; soit par « petites touches », on mise sur des essences un brin plus « exotiques ». Pourquoi pas le cèdre qui, contrairement à ce que l'on croit, n'est pas originaire du Liban mais du Maroc, ou le sapin Nordmann qui, lui, ne vient pas de Laponie mais de Turquie ?
« Nous avons l'habitude de travailler sur le long terme mais l'avenir est de plus en plus imprévisible. Il faut que toute la société nous aide, enjoint Brigitte Musch. Si l'on continue sur cette trajectoire de réchauffement, on sera +4-5°C d'ici à 2100 et la question de la forêt ne se posera tout simplement plus. »
« Bien sûr, que j’ai eu mal au cœur », commente Benoît Lanchais. Début août, perché sur sa nacelle, l’arboriste-grimpeur a dû couper un vénérable cèdre de plus de 180 ans à Brive-la-Gaillarde (Corrèze). Même cet arbre de 32 m, taillé pour le climat méditerranéen, n’a pas résisté à la sécheresse trois étés de suite. « Malheureusement, je suis de plus en plus souvent amené à couper des spécimens remarquables comme celui-ci, regrette l’amoureux des arbres. Les nappes phréatiques sont à sec, les racines ne trouvent plus rien. »
Ce moribond qui finissait de s’éteindre dans le jardin d’un particulier a dû être débité en stères parce qu’il menaçait de tomber. Le propriétaire du terrain a préféré quitter les lieux avant l’arrivée de Benoît : il ne voulait pas assister à l’abattage.
September 03, 2020 at 11:48AM
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Sécheresse : nos forêts sont à l'agonie - Le Parisien
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