Sciences et Avenir : Quelle situation avez-vous vécu cet été à Fontainebleau ?
Eric Goulouzelle : Nous avons connu 25 départs de feux soit un tous les deux jours en moyenne, mais lors des pics de canicules, c'était tous les jours. Les incendies n'ont pas le temps de s'étendre. Le plus important a dévoré 4 hectares et en tout, ce sont dix hectares qui ont brûlé. Notre chance, c'est que la forêt de Fontainebleau gérée par l'ONF est traversée par d'innombrables chemins forestiers ce qui facilite l'accès aux feux et donc la rapidité des secours. Par ailleurs la société de distribution d'eau potable "Eau de Paris" a accepté que les pompiers détournent l'eau des aqueducs du Loing et de la Vanne. Nous envisageons même d'installer des bornes à incendie connectées directement aux aqueducs pour qu'à l'avenir les pompiers puissent les utiliser sans qu'il soit besoin de demander l'autorisation des gestionnaires.
Eric Goulouzelle, en charge des forêts domaniales Seine-Nord. ©ONF
Quelles sont les causes de ces incendies ?
Elles sont comme partout ailleurs d'origine humaine. Ce n'est pas forcément de la malveillance, surtout de la négligence : un mégot, un feu de camp mal éteint bien que cela soit interdit en forêt. Avec plus de 10 millions de visiteurs par an, la forêt de Fontainebleau est la plus fréquentée de France. Il est hors de question d'en interdire l'accès tant elle représente un poumon indispensable pour la population francilienne. A la fin du confinement, on a connu des embouteillages monstres à l'abord du massif au point que la gendarmerie a dû organiser la circulation ! Mais il va falloir renforcer les messages de prévention. Le côté positif, c'est qu'il y a toujours quelqu'un pour signaler un départ de feu, ce qui s'est vérifié cet été. Mais la cause principale est météorologique : c'est la sécheresse.
Quels en sont les effets ?
D'abord, les étés secs avec des températures élevées deviennent la norme. La végétation est extrêmement sèche dès le début de l'été si bien que nous constatons des taux d'inflammabilité similaires à ceux du pourtour méditerranéen. Comme si la géographie avait changé et que soudain, à 40 minutes de Paris, c'était déjà le sud. La différence, c'est que la végétation n'est pas la même. La garrigue est constituée de buissons ayant peu ou prou la même hauteur. Dans les forêts du nord, il y a une énorme différence de hauteur entre les plantes de sous-bois et les arbres. Les flammes se diffusent plus difficilement. Reste que les fougères sont très sèches et constituent un excellent carburant et nous les forestiers, nous constatons que même les bruyères pourtant plus résistantes sont très inflammables.
Dans quel état de santé sont les arbres ?
Deux espèces ne supportent pas ces sécheresses à répétition : les hêtres et les chênes pédonculés. Ils ont besoin d'eau et le fait que les étés ne soient plus humides les condamnent à plus ou moins brève échéance. A cela s'ajoutent les crises sanitaires : la chalarose du frêne, l'encre du châtaignier, le scolyte de l'épicéa font d'énormes ravages. 21% des essences des Hauts-de-France ne sont pas adaptées au changement climatique et 10% des forêts domaniales du nord-ouest de la France sont en crise sanitaire. A Fontainebleau, on a été désagréablement surpris par la mort de 100 hectares de pins sylvestres lors de l'été 2019. De mémoire de forestiers, on n'avait jamais vu ça. Quant au hêtre, il est vraisemblable qu'on en trouvera plus en plaine d'ici deux à trois décennies.
Quelles solutions avez-vous pour sauver ces forêts ?
Le renouvellement des forêts est une question difficile et nous n'avons pas toutes les réponses. L'une des voies est de trouver des espèces adaptées. Ainsi, le programme GIONO consiste à récupérer des graines de hêtres du massif provençal de la Sainte Baume installés sur des versants nord de la montagne qui se sont adaptés à la sécheresse pour faire des plants destinés aux massifs du nord de la France. Les replantations ne pourront plus se faire avec une seule espèce mais avec une diversité apte à rendre la forêt plus résistante. On accompagnera aussi les repousses naturelles sur les friches. Enfin, on va aussi ne rien faire. Il est illusoire de vouloir planter des arbres si le climat ne s'y prête plus. Fontainebleau pourrait ainsi retrouver sa surface boisée d'avant le 19e siècle. A cette époque en effet, on a décidé volontairement de boiser entièrement les 22.000 hectares du massif et donc de planter sur des landes qui au 18e siècle étaient vierges d'arbres. Avec les sécheresses récurrentes, il est vraisemblable que de nombreux espaces ne puissent plus être boisés. Ce sera très rapide et Fontainebleau aura changé de visage bien avant 2050.
September 05, 2020 at 02:00PM
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"La forêt de Fontainebleau est aussi inflammable que la garrigue méditerranéenne" - Sciences et Avenir
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