AVENER PRADO POUR « LE MONDE »
ReportageUn an après les incendies qui avaient suscité une indignation mondiale, la forêt amazonienne est encore la proie des flammes. Symbole de la destruction de cet écosystème majeur, la réserve Chico Mendes, qui devait être un exemple d’exploitation respectueuse de l’environnement, est désormais saccagée.
Aujourd’hui, comme presque tous les jours de sa vie, « Bito » est allé « saigner » sa forêt. Levé dès 3 heures du matin, il a lavé à l’eau froide son visage boucané. Avalé une crêpe de tapioca et quelques bananes grillées. Pris son son sac, son seau, son couteau. Enfilé ses bottes. Ajusté soigneusement sa lampe frontale. Et s’est enfoncé entre les arbres. Seul, si seul, dans la grande nuit amazonienne.
Sous la canopée tropicale, Arleudo Morais Farias, de son nom complet, est une ombre parmi les ombres. Rapide et discret, à la manière du jaguar. D’ailleurs, cette jungle lui appartient tout autant qu’au félin. Il la connaît par cœur et la marque de sa trace : une griffure brune tachée de blanc, ondulant avec grâce jusqu’au sol humide le long du tronc de l’hévéa. La signature du seringueiro, l’ouvrier collecteur de latex d’Amazonie.
La seringueira est le nom portugais de l’hévéa. Bito, 43 ans, en taille depuis qu’il est enfant. « J’ai tout appris avec mon père », glisse, entre deux saignées, ce résident de la réserve Chico Mendes, dans l’Etat brésilien de l’Acre. Chaque jour, ce sont une centaine d’arbres qu’il doit visiter, 15 kilomètres à parcourir sur des terrains accidentés, souvent dans l’obscurité, avec 20 kg à 40 kg de latex sur les épaules. Les rencontres avec les singes, les tapirs et les panthères sont fréquentes. « Et avec les serpents, c’est tous les jours ! », rigole Bito.
Le latex, cette sève grasse et blanche qu’on appelle ici « lait », s’écoule goutte à goutte dans de petits gobelets que l’ouvrier récolte. Ça paraît si simple. Mais l’hévéa, malgré ses 30 mètres de haut, est un géant fragile. Il faut l’écorcher avec soin : quelques millimètres à peine. « Davantage, on peut le blesser, et il peut même en mourir », explique Bito. C’est un geste délicat que celui du seringueiro. Un geste d’amour, dit-il. « Ces arbres font partie de ma famille, ils sont comme mes enfants », sourit l’homme de la forêt, du « lait » plein la barbe et les mains.
Le monde d’avant
« J’aime ça, j’aime cette vie solitaire, au milieu de la nature », poursuit-il à son retour, vers 15 heures, dans sa bicoque de bois sur pilotis du village d’Icuria. Pourtant, malgré les apparences, Bito est inquiet. Depuis quelques années déjà, les affaires vont mal. Son maigre revenu a chuté de près de moitié. Surtout, Bito a les traits marqués. Il fait plus que son âge. « Je suis fatigué, j’ai déjà le corps tout dur. » Son fils a 18 ans. Il sera médecin. « Je ne veux pas de cette vie pour lui », confesse Bito d’une voix blanche.
Il vous reste 87.68% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
August 26, 2020 at 07:36AM
https://ift.tt/34xujqB
En Amazonie, le rêve brisé d'une forêt durable - Le Monde
https://ift.tt/3dBa6kN
Forêt
Bagikan Berita Ini